#Emplois dans l’édition de logiciels : classement des métropoles françaises

Dans le cadre du cours de statistiques à ESPOL, les étudiants ont travaillé sur la base de données ACOSS / URSSAF qui offre une image très fidèle de l’évolution de l’emploi salarié privé dans tous les secteurs d’activités. Ce fut l’occasion pour les étudiants de situer leur territoire d’origine par rapport à ceux de leurs camarades. Certains se sont penchés sur le secteur de l’édition de logiciels (logiciels système et de réseau, logiciels outils de développement et de langage, logiciels applicatifs) en ayant en tête que les apparences sont parfois trompeuses et qu’une bonne analyse de données permet d’éclairer la lumière, sans toutefois donner toutes les réponses.

Pourquoi l’édition de logiciels ?

Depuis des années déjà, les territoires français dépensent sans compter, ou presque, pour devenir des pôles majeurs dans le domaine de l’édition de logiciels, ceci en attirant les entreprises du secteur ou en soutenant les jeunes entrepreneurs. Il est vrai que ce secteur offre des perspectives très alléchantes avec un potentiel de centaines, voire de milliers d’emplois à la clef, lorsque des entreprises prospèrent. Le terme « potentiel » est très important car il arrive que des startups prometteuses ne connaissent pas la croissance espérée, voire disparaissent.

C’est ainsi que depuis le début des années 2000, les grandes métropoles françaises ont favorisé ou directement financé des projets en faveur du numérique en soutenant des structures privées ou en créant des « lieux totem », aidées par le lancement en 2015 de la French Tech qui vise à soutenir le développement du secteur du numérique en France.

En voici quelques exemples :

  • À l’initiative du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’incubateur numérique Belle de Mai à Marseille créé en 1999, est une plateforme collaborative apportant expertise et conseils pour aider les entrepreneurs à développer et valoriser leurs projets numériques innovants.
  • Euratechnologies installé à Lille depuis 2009 et se présentant comme le plus grand incubateur de startups en Europe, accueille plus de 300 entreprises et revendique 4 500 salariés dans les bâtiments voisins. Il propose de nombreux services et programmes d’accompagnement pour les entrepreneurs tech et numérique.
  • Plaine Images, à cheval entre Roubaix et Tourcoing, est un pôle dédié au numérique qui se présente comme un incubateur et accélérateur d’entreprises, principalement dans le développement des industries créatives, et regroupant plus de 150 entreprises et 3 écoles sur son site dont les nouveaux bâtiments de l’école Artefix.
  • A Paris, la Station F fondée par Xavier Niel en 2017, se présente comme le plus grand campus de startup du monde, et a pour objectif de soutenir l’écosystème des startups en France en accompagnant plus de 1 000 startups dans leur ouverture à l’international.
  • Le H7 à Lyon, lieu totem de la French Tech Lyon, qui accueille notamment Lyon Start-up, est depuis 2019 un vaste réseau d’acteurs d’une communauté de plus de 500 membres accompagnant les startups dans leur développement afin d’accélérer la croissance des startups en France et sur la scène internationale.
  • Fondé par Nantes Université, le CHU, l’INSERM et Centrale Nantes, la halle 6 est un modèle d’université interdisciplinaire dédié aux cultures numériques, où étudiants, chercheurs en sciences du numérique et jeunes entrepreneurs cohabitent ensemble pour faire émerger un lieu de formation, recherche et innovation, ainsi qu’un « nid » pour les entreprises du numérique.
  • La Cité Numérique à Bordeaux créée en 2017 et conçue par Bordeaux Métropole et la Mairie de Bègles, est un vaste espace composé de 3 grands bâtiments. Imaginée comme un laboratoire de projets économiques, culturels et éducatifs, elle a pour ambition d’être un accélérateur d’innovations pour les acteurs du numérique.
  • etc.

En effet l’édition de logiciels est un secteur de plus en plus dynamique puisque ses 5 600 entreprises ont réalisé en 2019 plus de 15,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et ont même continué à augmenter leur activité (de 3,3%) en 2020, malgré la crise sanitaire (source : INSEE).

Mais au-delà de ces équipements et outils d’accompagnement qui sont relativement faciles à identifier, la question des résultats de ces politiques doit être posée de manière comptable. Or, sur ce sujet, la plupart des métropoles se targuent de posséder le plus grand incubateur de France, voire parfois d’Europe, et de constituer des « clusters » de premier plan dans le domaine du logiciel.

La question que nous nous sommes posés avec les étudiants est la suivante : quels territoires sont devenus les leaders de l’édition de logiciel en France ?

Avertissement : l’URSAFF qui collecte les cotisation salariales et patronales des entreprises dispose d’une base de données très précise de l’emploi salarié privé. Chacun de ces emplois est classé selon sa localisation et selon l’activité principale de son établissement. Pour ce classement, l’INSEE propose la Nomenclature d’Activité Française (NAF) qui propose 732 activités différentes classées en 615 classes, organisées en 272 groupes, puis en 88 divisions et enfin en 21 sections. Les activités d’éditions de logiciels font partie de la division 58 (édition). Notons que les résultats présentés ci-dessous ne concernent donc que les établissements dont l’activité principale est l’édition de logiciel. Ainsi, les données ne prennent pas en compte les entreprises qui éditent des logiciels mais dont l’activité est autre, comme par exemple la conception de voitures ou d’avions.

En 2020 : Paris, un leader incontesté de l’édition de logiciel

Pour commencer, la France comptait en 2020 plus de 77 000 emplois salariés privés dans le secteur de l’édition de logiciels.

Les résultats fournis par ACOSS / URSSAF sont très clairs : en 2020, Paris est l’incontestable leader de l’édition de logiciel en France et accueille ainsi 45% de l’emploi dans ce secteur, soit plus de 34 600 emplois.

Loin derrière Paris, la métropole de Lyon constitue le second pôle dans le secteur avec 5 000 emplois.

Derrière, on trouve les agglomérations de Toulouse et de Nantes avec un peu plus de 3 000 emplois. Si Toulouse semble avoir une « position normale » du fait de la présence de l’Aérospatial et d’Airbus qui sont de gros consommateurs de logiciels, celle de Nantes nous a d’avantage surpris, exceptés les étudiants nantais présents qui, très fiers, ont affirmé que cette position était très logique 🙂

La métropole de Marseille, non loin de Toulouse et de Nantes, se situe en 5e position avec plus de 2 700 emplois.

Suivent enfin Bordeaux puis Lille, dont le classement a fortement déçu les habitants de ces deux territoires, en particulier les lillois qui connaissent pour beaucoup l’existence de Euratechnologies.

Depuis 2006, une croissance généralisée de l’emploi

A l’image de la France qui a vu le nombre d’emplois doubler entre 2006 et 2020, toutes les grandes agglomérations françaises ont connu une forte croissance de l’emploi dans le secteur de l’édition de logiciels.

En volume, la palme de la croissance revient à la région parisienne qui a vu la création de plus de 14 000 emplois dans le secteur, suivi de Lyon et de Nantes. Cette dernière est aussi l’agglomération qui a connu la croissance en % la plus élevée avec un quasi triplement du nombre d’emplois. Après Nantes, c’est Bordeaux qui a connu le plus fort taux de croissance, devant Lille et Marseille qui ne sont pas loin d’avoir doublé le nombre d’emplois dans le secteur, soit une performance légèrement plus faible que celle observée à l’échelle nationale (+100,08%).

Nantes, la surprise du classement

Dans notre classement issu des données de l’URSSAF, la domination de Paris n’étonne guère et la position de Lyon non plus.

Par contre, la troisième place de Nantes partagée avec Toulouse nous a davantage surpris. 5e du classement en 2006, la métropole de Nantes a connu une explosion de l’emploi dans le secteur avec un quasi triplement des effectifs. Plus que d’autres métropoles, Nantes a connu une dynamique très favorable avec la création de plusieurs entreprises telle que Akeneo, Wiztivi, Prios, Performanse ou encore Myscript qui sont toutes nées entre 2005 et 2015. Comme les autres métropoles, Nantes dispose de structures de soutien aux créateurs, comme « la Cantine » et les anciennes Halles Alstom situées sur l’île de Nantes, qui ont été progressivement réhabilitées depuis le début des années 2000 pour accueillir des entreprises innovantes, à l’image de Euratechnologies à Lille.

Des places qui se gagnent au prix de politiques coûteuses et d’une concurrence territoriale exacerbée

Les politiques publiques en faveur du numérique passent notamment par le développement des entreprises qui éditent des logiciels et qui donc sont en mesure de faire fonctionner les réseaux sociaux, les sites de vente en ligne, les robots et tous les systèmes de gestion informatique.

Nous savons aujourd’hui que la révolution technologique que le monde connaît depuis le début des années 2000 engendre une destruction créatrice que l’économiste Joseph Schumpeter avait décrite au 19e siècle. Avec le développement d’Amazon, Uber, Booking, ou encore PayPal et de quantités d’applications, il y a des millions d’emplois qui disparaissent dans le monde pendant que d’autres sont créés pour faire fonctionner ces entreprises du numérique. Ainsi, l’objectif pour les territoires est simple : accueillir les entreprises créatrices d’innovation et par conséquent de richesse pour compenser les emplois détruits. A l’échelle nationale, l’objectif est aussi de ne pas devenir dépendant des géants du numériques américains et chinois.

Le lancement de la FrenchTech a eu pour objectif d’une part d’impulser les dynamiques locales lorsqu’elles étaient trop faibles, et d’autre part de fédérer les actions menées à cette échelle.

On peut néanmoins se poser la question de l’efficacité de stratégies économiques menées à une échelle locale, qui sont parfois très coûteuses pour des résultats parfois décevants.

Certaines agglomérations cannibalisent le secteur

Pour terminer l’analyse, nous avons comparé l’emploi régional avec l’emploi du secteur dans les agglomérations.

L’analyse nous montre que la métropole lilloise accueille près de 80% de l’emploi de l’édition de logiciel des Hauts-de-France. Cela signifie que les agglomérations de Amiens, Lens, Douai, Dunkerque ou encore Compiègne se partagent 20% de l’emploi local, autant dire des miettes (Amiens, Compiègne et Valenciennes atteignent péniblement les 40 emplois dans le secteur). Au final, à vouloir créer des polarités puissantes et visibles, se cache le risque d’un appauvrissement de l’écosystème régional.

C’est beaucoup moins le cas des autres régions françaises, et en particulier de la région Rhône-Alpes. Cette région a non seulement la caractéristique d’accueillir le premier pôle du numérique après Paris, mais accueille aussi d’autres polarités avec notamment Grenoble qui dépasse les 1 000 emplois et Annecy les 600 emplois.

Conclusion

En conclusion, les politiques publiques en faveur de l’édition de logiciel font apparaître des questions très classiques en matière d’aménagement du territoire.

D’une part, le rôle de l’Etat face à des collectivités territoriales qui mettent en place des stratégiques concurrentielles et donc potentiellement inefficaces (au jeu de la concurrence, il y a des gagnants et des perdants), mais aussi coûteuses ;

D’autre part, le rôle des grandes métropoles dans leur région et leur capacité à jouer un rôle de locomotive plutôt que de cannibale de l’activité économique. Sur ce plan, la comparaison entre la métropole lilloise et celle de Lyon est très parlante. La première, faible, concentre l’emploi régional. La seconde, forte, essaime dans les autres grandes villes de sa région.

Auteurs de l’article : Thomas Werquin & Maurine Hélin – étudiante ESPOL en 2022